mercredi 12 mars 2014

Vente TAJAN du 4 mars 2014

Jean DERVAL : "L'Ange de l'Annonciation" (1955)

Le marché est plutôt statique en ce moment : fort peu d'objets "perdus" de qualité remontent des vide-greniers (à mon avis, cette source s'est quasiment tarie), ceux qui sont déjà en collections n'en sortent guère (eh oui, les amateurs sont possessifs), les pros se plaignent de ne rien dénicher sur les déballages marchands et leurs clients tirent un peu la langue. La crise se fait en effet sentir et profite avant tout aux professionnels ayant les reins solides et de riches clients outre-Atlantique, comme on a pu le constater mardi dernier lors de la vente organisée par l'étude TAJAN, qui dispersait notamment un bel ensemble d'oeuvres de Jean DERVAL, après le décès de son épouse. En effet, seules les pièces majeures destinées à cette cible ont très bien tiré leur épingle du jeu.

Quelques chiffres et remarques :

- 329 lots offerts, 142 vendus ; plutôt dans la partie post 50, la céramique Art nouveau et Art déco semblant un peu marquer le pas.
- 40 céramiques de DERVAL proposées pour 20 vendues.
- De très intéressants dessins préparatoires du même artiste ne trouvaient pas preneur. Étonnant et regrettable, d'autant plus que les estimations étaient fort raisonnables.
- Peu de "vedettes" (JOUVE, RUELLAND et CHAMBOST notamment). Normal : le marché est acheteur (et même un peu "fou" pour RUELLAND), pas vendeur.

Pour consulter le catalogue avec les résultats, c'est ici.

Chose promise, chose due : voici ma petite analyse de la vente.

Encore une fois, ce qui va suivre est purement subjectif.

Je ne prétends pas être le chantre du bon goût en matière de céramique 50, loin de là, même si j'estime ne pas avoir un trop mauvais oeil ;-).

Avant de crier "trop cher", il faut re-la-ti-vi-ser : 2.000 € pourra être une somme énorme pour quelqu'un qui ne les gagne pas en un mois et peanuts pour un avocat bostonien qui les empoche en deux coups de fil et qui pourra s'offrir tout ce qu'il voudra. A condition bien sûr de le vouloir et de ne pas être atteint de radinite, maladie qui fait bien des ravages chez beaucoup de collectionneurs, aisés ou pas...

Pour ceux qui trouveraient encore les prix élevés, attention : les prix "galerie" le sont encore plus, les pros constituant le gros des acheteurs en salles. Bref : prix aux enchères = bien souvent "prix plancher". En galerie il vous en coûtera logiquement 2,5 à X fois plus, suivant la qualité de l'objet, l'aura du galeriste et sa clientèle. Eh oui, la traque, la sélection, la mise en valeur, la marge, les frais d'une galerie, tout ceci se paye.

Attention aussi aux valeurs absolues trompeuses : un prix élevé n'est pas forcément synonyme de cherté. Exemple : une "pomme" de JOUVE à 1.000 € n'est pas chère du tout alors qu'un banal vide-poches de CAPRON à 300 € l'est honteusement.

Le plus important à mon avis c'est de collectionner ce que l'on aime et de faire du mieux que l'on peut, en fonction des ses moyens. L'argent est le nerf de la guerre comme on dit mais il n'est rien sans le goût et la volonté, qualités qui ne sont pas toujours, loin de là et heureusement, l'apanage des collectionneurs les plus aisés, qui ont souvent tendance à acheter avec leurs oreilles. Que l'on dispose de 1.000 ou de 10.000 €, l'important c'est d'utiliser au mieux ce budget et de ne surtout pas tergiverser.

Quoi qu'il en soit, la céramique 50 est encore un domaine abordable si on le compare aux autres arts de son époque et il est pour l'instant possible de s'offrir un chef d'oeuvre d'un artiste majeur pour quelques milliers d'euros, ce qui est bien loin d'être le cas pour la peinture abstraite, par exemple, où le ticket d'entrée est autrement plus important.

Pour en revenir aux DERVAL de cette vente, il y avait quelques très belles pièces, beaucoup de moyennes et quelques pièces pas terribles. Pas étonnant : en dehors des premières, conservées par l'artiste, les autres étaient plutôt des "invendus". Les plus belles pièces avaient quitté l'atelier du Portail depuis belle lurette...

Ceci étant dit, voici ma petite sélection, dans l'ordre du catalogue :


-  Jean DERVAL, "L'Ange de l'Annonciation", 115 cm de long : 41.470 €, sur une estimation de 20 à 30.000 €. Record de la vente pour l'artiste, prévisible car il s'agit d'une pièce superbe, exposée et reproduite à de multiples reprises et qui ornait encore l'atelier de l'artiste il y a quelques jours. Achat d'un professionnel. La pièce part pour les États-Unis où elle sera sans doute "placée" par un décorateur. Pauvre Ange...


- Jean DERVAL, "Vierge à l'Enfant", sujet religieux, typiquement "Dervalien" mais qui n'a plus trop la cote malgré sa facture plutôt réussie et ses 62,5 cm. Invendue (elle était estimée 3 à 4.000 €, ce qui était à mon avis un peu trop).


- Jean DERVAL, "Sirène au poisson" (42,5 cm), pièce superbe et curieusement invendue malgré une estimation raisonnable (2 à 3.000 €).


- Jean DERVAL, grand vase architecture (47,5 cm), superbe mais un prix à mon avis "stratosphérique" : 11.484 € ! Il était estimé 3 à 4.000 €. Passion quand tu nous tiens...


- Jean DERVAL, applique "cervidé". Bof. Il a l'air bien fatigué l'animal :-). 3.062 € quand même (estimé 2.500 à 3.000 €).


- Jean DERVAL, grand vase-bouteille (54,6 cm), invendu (estimé 1.200 à 1.500 €). Forme intéressante mais émaillage bien médiocre. Ceci explique cela...


- Jean DERVAL, "Couple assis sur un grand oiseau", sculpture en 9 éléments et mesurant près d'un mètre quatre-vingt ! 25.520 € et second plus gros prix de la vente pour DERVAL (estimée 25 à 30.000 €). Une pièce très poétique. J'aime beaucoup !


- Jean DERVAL, table basse à décor géométrique (58 x 134,5 cm) : 3.828 € (estimée 3 à 5.000 €). Belle affaire car il s'agit d'une pièce rare ! Il s'agit de la première table basse de l'artiste que je croise.


- Jean DERVAL, "vase architecture" (1968), on ne peut plus impressionnant mais un peu déséquilibré à mon goût : 19.140 € (oups !), sur une estimation de 4.500 à 6.000 €.


- Jean DERVAL, "profil d'homme antique", applique (41 x 53 cm) : 2.552 € (estimée 2 à 3.000 €). Le DERVAL cubiste que je préfère, et de loin. Une pièce à l'excellent rapport qualité/prix ;-).


- Jean DERVAL, deux projets pour la Byblos des Neiges à Courchevel, techniques mixtes sur papier et calque, 1984 (41,5 x 54 cm). Invendues alors qu'elles n'étaient estimées que 500 à 800 €. Incompréhensible ! Si j'avais été en fonds je me les serais bien offert...


- Jean DERVAL, vase sculpture "Poisson" (20,7 x 46 cm). Superbe sujet, typiquement méditerranéen et un brin baroque. J'adore ! 5.104 € (estimé 4 à 5.000 €). Belle affaire.


- Jean DERVAL, grand vase (45 cm) à décor féminin, travail de 1997 particulièrement élégant : étonnamment invendu (estimé 4 à 5.000 €).


- Jean DERVAL, grand et spectaculaire vase sculpture (46 cm de haut sur 32 de large) : 1.021 € (estimé 800 à 1.200 €). Rapport qualité/prix imbattable !


- François RATY, vase sphérique décoré de deux oiseaux stylisés : invendu (estimé 2 à 3.000 €). Probablement en raison de sa petite taille (14,5 cm de haut) et de sa forme guère esthétique.


- MADOURA, grand vase ovoïde (36 cm de haut) : 7.401 € alors qu'il n'était estimé que 2 à 3.000 €. Belle surprise pour cette céramique particulièrement épurée. Rien à voir avec le RATY précédent, bien lourdaud...


- MADOURA, grand vase "girafe" (83,5 cm) : 6.380 € (estimé 5 à 7.000 €). Ce célèbre modèle fait rêver bien des madouraphiles mais personnellement je trouve l'émaillage de cet exemplaire plutôt médiocre. Rien à voir avec celui exposé chez SOTHEBY's lors de l'exposition hommage à Pierre STAUDENMAYER, magnifique.


- MADOURA, "Pélican", sculpture sur pied métallique (104 cm de haut) : invendu (estimé 15 à 20.000 €). Une pièce rare faisant partie d'une petite série d'une dizaine d'exemplaires, créée en 1965 mais pas la plus belle, hélas. Visiblement surestimée, d'autant plus qu'elle était (mal) restaurée.


Personnellement, je préfère de loin celle-ci (tirée d'une carte postale d'époque).


- Robert DEBLANDER, vase en grès haut de 18 cm (circa 1970) : 1.404 € (estimé 1.000 à 1.400 €). Une très jolie pièce et un prix on ne peut plus raisonnable pour ce grand artiste, qui n'a pas encore le marché qu'il mérite. Profitez-en ;-).


- Robert DEBLANDER, lampe architecture à poser, en deux parties et toujours en beau grès des années 70 : invendue (estimée 2.500 à 3.000 €). Une très belle pièce pour l'amateur de lampes que je suis. Bizarre qu'elle n'ait pas trouvé preneur !


- Robert DEBLANDER, vase en porcelaine à décor abstrait (24,7 cm) : invendu alors que cette superbe pièce unique n'était estimée que 6 à 800 € ! Quand on voit à quel tarif s'est négocié la pièce suivante, produite en quantité industrielle, il y a vraiment de quoi en perdre son latin...


- Roger CAPRON, pichet orange (33 cm) : 2.021 € (oui, vous avez bien lu), alors qu'il n'était estimé que 500 à 700 € ! Est-ce parce qu'il fait partie d'une série spéciale pour la firme d'ascenceurs SCHINDLER ? Peut-être, mais c'est bien cher payé !


- Autre beau prix inespéré pour Roger CAPRON avec ce second pichet de même taille mais au décor de type "Pyjama" : 1.148 € (même estimation). Bigre !


- La cote de Jacques BLIN poursuit son ascension. Ici un étonnant, superbe et rare grand pichet zoomorphe (haut de 40,5 cm) adjugé 6.125 € alors qu'il n'était estimé que 2 à 3.000 €, une somme déjà conséquente.


- Du même mais plus classique, ce beau vase par sa forme et son décor : 2.552 € sur une estimation de 800 à 1.200 €. Une jolie pièce, de grande taille (32,8 cm).


- Un seul RUELLAND majeur dans cette vente, par sa taille XXL : 59,5 cm ! Prix sans surprise : 7.401 €, pile poil dans la fourchette de l'estimation (6 à 8.000 €).


- En fin de vacation, une série de pièces de François GUENEAU (artiste né en 1937 et peu passé en salle) était offerte au feu des enchères, comme cette belle sculpture en grès de plus d'un mètre cinquante datée de 1982, qui a fait 3.828 €, ce qui n'est pas rien pour un artiste plutôt discret (elle était estimée 3 à 5.000 €).


- Du même : ce superbe "totem" de la même époque mais encore plus grand (2,45 m) atteignait 2.552 € (il était estimé 2 à 3.000 €). Très belle pièce et prix raisonnable !


- Un pièce étonnante pour terminer : cette spectaculaire applique de plus d'un mètre de large représentant deux éléments osseux séparés par un "cartilage" en bronze doré (avec système de fixation à l'arrière) de Tim ORR. Estimée 5 à 700 €, elle a atteint la coquette somme de 1.914 € ! Tim ORR, un artiste à redécouvrir ;-).

NB : tous les prix atteints s'entendent frais de vente inclus.

2 commentaires:

  1. Bonsoir Pascal,

    Ne soyez pas triste , les gens se désintéressent de l'art : c est un fait.
    Pourtant, une poignée de fous un peu rêveurs continuent à aimer ce qui transcende l'homme. L époque dont vous parlez dans votre billet précédent qui relate votre rencontre avec Robert Chiazzo donnait aux créations tout leur sens dans la mesure où le public également était récepteur. Aujourd'hui il me semble que l'art n'a de grâce ( aux yeux des gens) que dans son aspect mercantile .
    Il existe peu de véritables amateurs, de personnes passionnées par les créateurs, les créations, l'esthétique ... L art est devenu spéculatif .

    Dans notre coin , nous nous époumonons pour donner envie aux gens d aimer de découvrir et de venir... hélas ...la donne a changé , les amateurs se détournent des galeries d'art .
    Nous avons une petite galerie en province et je vous assure que malgré ce que vous dites dans votre billet sur la dernière vente Tajan ( collection Derval) concernant le prix des céramiques ( selon vous moins chères en salle des ventes ... ). Il est encore possible d'acheter de très belles pièces en galerie qui sont à des prix raisonnables, et très intéressantes ( issues de fonds de marchands ou de collections privées) .
    Il faut être un peu fou actuellement pour continuer à défendre becs et ongles des artistes et leur travail avec nos cœurs et nos âmes quand tout autour de nous les " grosses salles des ventes" et leurs ressources publicitaires nous écrasent et nous tuent à coup de marteau...

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    1. Bonsoir,
      Que de choses pertinentes !
      Les vrais amateurs d'art (pas ceux qui n'achètent des oeuvres d'art que pour spéculer ou "parce que ça fait bien") me semblent en effet être devenus des dinosaures. La faute à l'époque, qui n'encourage pas la sensibilité et le goût, gangrenée par la bêtise et la vulgarité. Comment inverser la tendance ? En montrant, en expliquant... L'art est devenu élitiste et c'est bien dommage car il est fait pour tout le monde...
      Bravo pour votre activité. Trop de galeries ne présentent que des artistes commerciaux ou des fumistes alors qu'il y a tant d'artistes des années 50/70 (par exemple) à redécouvrir. Elles se font logiquement laminer par les salles des ventes où le choix est plus large pour les amateurs. Il faut qu'elles sortent des sentiers battus et là elles pourront vivre de leur travail : recherche, présentation, sélection, valorisation... Un galeriste n'est pas un épicier, ce que trop de galeristes semblent avoir oublié...

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